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Le passage en première lecture de l'ordonnance « Bruxelles numérique ».

Question orale du 24/05 de Farida Tahar (Ecolo) à Bernard Clerfayt, Ministre de la Transition Numérique.

Question de Farida Tahar:

Mme Farida Tahar (Ecolo)
.- Tant au sein de cette commission qu’en séance plénière, nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises l’inquiétude de nombreuses personnes et associations face à la numérisation croissante de nos services publics et à son impact sur leurs démarches quotidiennes, ainsi que leurs craintes légitimes de voir les guichets physiques et les lignes téléphoniques disparaître progressivement.

Il y a quelques semaines, nous apprenions le passage en première lecture de l’avant-projet d’ordonnance « Bruxelles numérique » visant, je vous cite, à « conférer de nouveaux droits, décrits plus explicitement, aux usagers des services publics numériques ».

Ce projet aurait ainsi pour objectif de répondre à la numérisation croissante de la société. Désormais inéluctable, ce processus a aussi connu une accélération exponentielle en raison de la crise sanitaire. La pandémie de Covid-19 a révélé de nombreuses difficultés vécues par une frange non négligeable de la population : des personnes qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, utiliser systématiquement les services numériques.

Si la transition numérique peut offrir des avantages et être source de simplification pour certains, les citoyens ne sont pas tous outillés et informés de la même manière. Les personnes éprouvant des difficultés d’ordre linguistique, celles en situation de handicap, celles pour qui le tout-numérique n’est tout simplement pas envisageable, certains jeunes aussi, qui peuvent être à la peine malgré les idées reçues : autant de citoyens qui s’inquiètent de la disparition progressive des guichets physiques, pourtant essentiels pour garantir l’accès aux droits (sociaux notamment). Le secteur associatif, en particulier, les rejoint ; je vous renvoie à l’excellente carte blanche cosignée par 200 associations.

Cette inquiétude va croissant : beaucoup redoutent que cet avant- projet d’ordonnance n’offre pas les garanties suffisantes au maintien et au renforcement des guichets physiques et des lignes téléphoniques.

En séance plénière du vendredi 10 mars, vous nous précisiez que votre texte n'avait pas « vocation à réglementer la manière dont chaque organisme conçoit son interaction avec ses usagers ». Vous entendiez plutôt « aller le plus loin possible dans la définition et l’imposition de solutions alternatives suffisantes pour veiller à l’inclusion numérique de tous les publics ».

Le groupe Ecolo rejoint vos ambitions d’inclusion des personnes en situation de fracture numérique. Personne ne peut rester à l'écart et subir la fracture numérique sans être outillé et accompagné. Il importe toutefois de rester intransigeant quant au maintien et au renforcement des guichets physiques dans les services publics, qui ont un rôle à jouer pour garantir l'accessibilité de ces services rendus à la population à tous et toutes.

Dans le cadre de votre concertation avec le secteur associatif, la dernière version de votre texte lui a-t-elle été transmise ? Le cas échéant, quelles suites réservez-vous à leurs observations et à leurs demandes ? Nous pouvons aisément imaginer que ce secteur souhaite émettre des doléances.

L’une des demandes prédominantes est la garantie du droit de recourir à un service en guichet physique dans les administrations, car il s’agit tout bonnement d’un droit. Comment y répondez-vous ? Dans quelle mesure ce droit sera-t- il garanti par les pouvoirs publics ?

Votre texte apporte-t-il une réponse aux inquiétudes des travailleurs sociaux, spécifiquement sur la mention d'alternatives, laissées à l'appréciation des uns et des autres ? Il me semble important de les rassurer. Qu'entend-on par les alternatives ? S'agit-il d'alternatives au numérique ? Il ne faut pas les opposer, car ce n'est pas une option ou l'autre, mais plutôt l'une et l'autre. Des précisions à cet égard sont nécessaires.

Comment les acteurs associatifs et les personnes concernées seront-ils accompagnés ? Le financement de ces acteurs, notamment celui des espaces publics numériques, sera-t-il réévalué en conséquence ?

Dans une réponse à une interpellation parlementaire, vous affirmiez votre volonté de trouver des solutions alternatives pour garantir l’inclusion numérique. Ces alternatives portent- elles également sur le maintien et le renforcement des guichets physiques ? Dans l'affirmative, comment entendez- vous concrétiser cette volonté du secteur associatif en général et des publics vulnérables en particulier ?

Réponse de Bernard Clerfayt:

Je vous félicite pour votre suivi constant de ce sujet par vos questions fréquentes.

L’avant-projet de décret et ordonnance conjoints de la Région de Bruxelles-Capitale, de la Commission communautaire commune et de la Commission communautaire française relatifs à la transition numérique des institutions, appelé « Bruxelles numérique », a fait l'objet de nombreuses consultations avant son adoption en première lecture. En amont, nous avions donc mené une large consultation des administrations bruxelloises dès 2021, processus qui s'était prolongé pendant l'été 2022. Lors de nombreuses tables rondes, nous avons abordé les difficultés rencontrées par les administrations bruxelloises dans la mise en œuvre de diverses dispositions et la conception de leur interaction avec leurs publics.

Nous avons, par ailleurs, mobilisé nos partenaires du groupe de travail chargé d'étudier l'inclusion numérique au sein de Paradigm, qui nous avaient déjà accompagnés dans la rédaction du premier plan d'appropriation numérique en Belgique, celui adopté par la Région bruxelloise. La Fondation Roi Baudouin, qui produit des rapports réguliers, est également membre de cette plateforme.

Le gouvernement a adopté le texte en première lecture, en m'invitant à poursuivre les consultations avec une partie du secteur associatif et les intervenants qui émettent des remarques, des suggestions ou des critiques dans le cadre du débat public sur ce projet d'ordonnance. 

À ce stade, avant son passage prochain en deuxième lecture au gouvernement, le texte en projet fait donc l'objet de plusieurs consultations auprès de divers organismes :

- l'Autorité de protection des données ;

- la Commission de contrôle bruxelloise ;

- Brupartners pour les partenaires sociaux ;

- le Comité d’accompagnement de la simplification administrative ;

- le Comité général de gestion d'Iriscare ;

- les sections « hôpitaux » et « institutions et services de santé mentale » de la Commission de la santé du Conseil consultatif de la santé et de l’aide aux personnes de la Cocom ;

- Gibbis, la fédération patronale pluraliste du secteur privé associatif des institutions de soins à Bruxelles ;

- le Conseil bruxellois de la personne handicapée ;

- les sections « aide à domicile », « personnes handicapées », « services ambulatoires » et « cohésion sociale » du Conseil consultatif bruxellois francophone de l’aide aux personnes et de la santé ;

- Brulocalis pour les pouvoirs locaux ; - Unia.

Nous avons par ailleurs pris connaissance de l'avis remis d'initiative par ce dernier.

Nous rassemblons tous ces avis, les rendons cohérents car les demandes qui y sont formulées ne sont pas toujours convergentes, et les intégrons au travail de consultation. Voilà pourquoi le texte connaît des versions successives. Nous le présenterons ensuite en deuxième lecture au gouvernement, avant de l'envoyer au Conseil d'État. Je présenterai ensuite le projet de décret et ordonnance conjoints « Bruxelles numérique » au Parlement pour en discuter. C'est le processus normal de rédaction et de préparation d'une ordonnance.

Le projet d'ordonnance ne vise pas à remplacer l'accueil traditionnel par un accueil numérique. En revanche, lorsque des services publics bruxellois développent des applications numériques - ce qu'ils font déjà spontanément, sans aucun encadrement -, le texte vise à ce que cela se fasse de manière responsable, inclusive, accessible et universelle. Il ne s'agit donc pas de réduire des droits, mais de garantir nos engagements d'universalité d'accès aux services publics, en particulier pour les plus vulnérables. Mais nous en débattrons quand le texte sera sur la table.

Concernant le financement des espaces publics numériques, j'ai souhaité élaborer, dès le début de la législature, un plan d'appropriation numérique 2021-2024. Il existe en effet une fracture, ou plutôt une inégalité numérique, car ce n'est pas binaire : certains maîtrisent un peu, beaucoup ou pas du tout le numérique. Nous avons reconnu cette réalité et mobilisé une série de dispositifs et de moyens pour lutter contre ces inégalités.

Nous avons triplé le budget et l'avons ainsi porté à 900.000 euros par an. Ce budget vise à soutenir les initiatives des espaces publics numériques, des associations et des administrations en vue d'atténuer les inégalités numériques. Les associations qui soumettent des projets obtiennent donc un financement qui couvre des frais imputés à leur réalisation.

Prochainement, un nouvel appel à projets sera lancé, à concurrence de 300.000 euros. Ce montant devrait permettre aux acteurs de terrain de mener à bien des actions innovantes afin de remédier aux problèmes marquants de la société bruxelloise.

Enfin, en ce qui concerne l'évaluation de ce plan d'appropriation numérique, Paradigm publie chaque année un rapport sur l'état d'avancement de toutes les mesures reprises dans ce plan. Ce rapport publié sur l'internet peut être consulté en toute transparence. Nous avons donc la volonté de continuer à travailler avec la plateforme d'appropriation numérique, et tous nos partenaires sont mobilisés à cette fin.

Réponse de Farida Tahar:

Vous n'avez que partiellement répondu à mes questions, en mettant surtout l'accent sur votre volonté d'outiller les structures et de renforcer les budgets, notamment en triplant les moyens alloués aux espaces publics numériques, afin de veiller à l'inclusion des personnes directement concernées par les inégalités numériques. Comme vous, je préfère d'ailleurs aussi cette appellation. Pour rappel, la Fondation Roi Baudouin indique dans son étude qu'un Belge sur deux et deux Bruxellois sur cinq est confronté aux inégalités numériques. Ce chiffre est énorme puisqu'il représente près de la moitié de nos concitoyens ! C'est sur ce point que je souhaite mettre aujourd'hui la priorité. Je vous soutiens dès lors pleinement dans votre volonté de mettre tout en œuvre pour assurer l'accompagnement des personnes confrontées aux inégalités numériques.

Concernant votre avant-projet d'ordonnance, je sais qu'il est en cours de processus et qu'il doit encore passer en deuxième lecture avant d'être envoyé au Conseil d'État. Mais il ne semble pas prévoir d'alternatives. Or, vous dites que le texte ne vise pas à remplacer l'accueil traditionnel par le numérique. Ce sont vos propos et cela répond à la demande des associations, à savoir maintenir et renforcer les guichets existants.

Je vise ici les administrations publiques de manière générale. Bien que je vous interpelle en tant que ministre compétent, la question concerne aussi peut-être d'autres membres du gouvernement. Mon souhait est que notre Région avance avec son temps en matière de numérique, tout en veillant au maintien des services physiques (guichets physiques et lignes téléphoniques). Si vos propos sont avérés et que vous préconisez bel et bien le maintien de services physiques, dites-le plus fort. Sur le terrain, je constate que les inquiétudes sont encore nombreuses. Votre message ne semble donc pas passer. Nous resterons vigilants pour la suite.

Je rappelle également qu'un grand débat se tiendra demain à l'ULB sur le sujet. Tous les partis y seront représentés pour défendre leur position et j'espère que nous y parlerons d'une même voix.

Réponse de Bernard Clerfayt:

Je suis attentif à tout ce qui se dit ou s'écrit, aussi bien par la société civile que par les institutions. J'ai ainsi lu avec intérêt le rapport de la médiatrice bruxelloise. À ses yeux, la suppression du droit, pour un citoyen, d'introduire une demande de prime à la rénovation en version papier auprès d'urban.brussels et Bruxelles Environnement est problématique, ces services acceptant uniquement les demandes numériques.

Je vous recommande de vous adresser aux services qui ont décidé de modifier ou de supprimer l'accès papier à une série de documents. Je ne plaide pas pour cette évolution. Le développement du numérique fait beaucoup de bien à la société. Il sécurise et automatise notamment l'accès aux droits. Je ne souhaite pas qu'il donne à certains l'occasion de réduire des droits. Ce texte ne parle que de services numériques, car il n'a pas vocation à parler d'autre chose. Je cherche à le construire de telle sorte qu'il aille le plus loin possible dans le respect du droit des citoyens à avoir accès de manière adaptée aux services publics.

Réponse de Farida Tahar:

Vous êtes le ministre chargé de la Transition numérique, mais vous devez aussi garantir des droits. Vous dites qu'il est impératif de permettre le recours aux droits sociaux. Certes, votre texte qui vise la numérisation croissante des services publics garantit des droits, mais seulement à une partie des citoyens. Les autres ne sont pas sur pied d'égalité en matière numérique, et c'est pour eux que je souhaite le maintien des guichets.

L'un n'empêche pas l'autre. D'ailleurs, votre texte ne vise pas à remplacer l'accueil classique dans nos administrations. Je crois que le monde associatif vous soutiendra si vous maintenez les guichets physiques et téléphoniques.