Aller au contenu

COCOF : Le Conseil d’Etat casse l'arrêté qui limite le remboursement des fauteuils roulants

Le Conseil d’Etat censure une régression contraire à la dignité humaine dans le droit à l’intégration sociale des personnes handicapées

COMMUNIQUE DE PRESSE

Monsieur A., âgé de 53 ans, marié et père de trois enfants, est atteint de poliomyélite et paralysé des quatre membres. Il se déplace exclusivement en fauteuil roulant électrique, et ce depuis son plus jeune âge. Il mène néanmoins une vie active : il travaille comme employé depuis plus de 20 ans.

Soutenu par deux associations actives dans la défense des droits des personnes handicapées, l’ABMM et l’ABP , Monsieur A. vient d’obtenir, avec l’arrêt du Conseil d’Etat, n° 215.309 du 23 septembre 2011, la consécration ultime d’un long et difficile combat judiciaire.

L’intégration de Monsieur A. dans la vie sociale, et plus particulièrement dans le monde du travail, constitue un défi et une lutte permanente. Cela implique, pour lui, la possibilité de disposer des aides techniques les plus pointues, à défaut desquelles il est incapable de se laver, de s’habiller, et encore moins d’être suffisamment performant dans ses tâches professionnelles. Au mois d’octobre 2006, il a obtenu l’intervention de sa mutuelle, à concurrence du montant maximum prévu par la nomenclature INAMI, pour l’achat d’une voiturette électrique munie d’un certain nombre d’accessoires « standard ». Cependant, afin de pouvoir conserver au maximum une autonomie indispensable à une réelle intégration sociale et professionnelle, certains accessoires ont dû être modifiés ou adaptés, tandis que d’autres, complémentaires, ont dû être prévus. À titre d’exemples, des dossiers et repose-têtes escamotables pour pouvoir s’habiller et se déshabiller seul ; une plaquette de plexiglas pour lui permettre de travailler à l’aide d’un ordinateur portable ; un système dit « true track » permettant d’augmenter sa mobilité dans des situations d’urgence ou avec ses enfants, …

S’agissant du surcoût occasionné par les adaptations individuelles et personnalisées, soit celles ne faisant dès lors l’objet d’aucun remboursement par l’INAMI, Monsieur A. a, donc, fait une demande d’intervention complémentaire, en date du 9 novembre 2006, à concurrence d’un montant de 5.466,66 € auprès de la Commission Communautaire Française (COCOF). Cette demande se basait sur l’arrêté du Collège de cette institution du 25 février 2000 concernant l'intégration sociale et professionnelle des personnes handicapées . Cette règlementation est, notamment, destinée à permettre la couverture, par une aide financière, des éléments d’une voiturette non remboursés par l’INAMI, qui sont nécessaires à l’intégration sociale et professionnelle de la personne handicapée.

La COCOF a marqué son accord pour intervenir dans le coût … d’un seul accessoire (les accroche-taxis), à hauteur de … 133,39 €.

Par un jugement du 30 mars 2007, le Tribunal du travail de Bruxelles a estimé fondée la totalité de la demande d’intervention de Monsieur A.. Suite à l’appel de la COCOF, la Cour du travail de Bruxelles a confirmé la décision du tribunal, dans un arrêt du 16 juin 2008. Il y est, notamment, indiqué que, dans la mise en œuvre de la règlementation en cause, il fallait compléter la compétence de l’INAMI « en invitant précisément la COCOF à remplir l’une de ses missions essentielles qui est de favoriser au maximum l’intégration sociale et professionnelle de la personne handicapée en intervenant dans le coût supplémentaire d’une aide individuelle dès lors que celle-ci est justifiée par le handicap de la personne concernée ». La Cour du travail a, en outre, affirmé qu’ « il résulte des éléments de la cause, que Monsieur A. n’aurait pu mener une vie affective et familiale, sociale et professionnelle, comme il le fait depuis de nombreuses années, et dès lors, s’intégrer socialement, s’il n’avait pas mis tout en œuvre pour augmenter au maximum son indépendance et son autonomie, dans toute la mesure compatible avec son handicap et grâce aux aides techniques disponibles ». Dans un arrêt du 11 mai 2009, rejetant le pourvoi introduit par la COCOF, cette décision a été validée par la Cour de Cassation.

Entre-temps, plutôt que d’adapter les pratiques de son administration à ces décisions judiciaires justes et unanimes, le Collège de la COCOF a décidé de modifier sa règlementation dans un sens restrictif en vue de limiter les possibilités pour les personnes handicapées d’obtenir la prise en charge des compléments nécessaires à leur intégration sociale et professionnelle par voie judiciaire. Le rapport précédant la publication d’un nouvel arrêté du 17 avril 2008 a précisé, sans complexe, que cette modification était « due au fait que le Tribunal du travail de Bruxelles, dans le cas de recours de personnes handicapées […] a interprété, dans ses jugements, [la règlementation] dans le sens très large » et que le nouvel arrêté « devrait permettre d'éviter de perdre des recours au tribunal » (sic).

Ce sont les dispositions contestées de cet arrêté du 17 avril 2008 que le Conseil d’Etat vient d’annuler dans son arrêt du 23 septembre 2011. Si la règlementation restrictive ne pouvait plus remettre en cause le droit de Monsieur A. à percevoir les 5.466,66 € d’aide si durement acquis, encore fallait-il, avec le soutien des deux associations présentes à la cause, porter le combat au bénéfice des futurs demandeurs d’aides.

Ce qui est remarquable, tant en droit qu’en termes de justice sociale, dans l’arrêt du Conseil d’Etat, c’est qu’il annule les dispositions attaquées de l’arrêté du 17 avril 2008, en raison de leur contrariété au droit à l’aide sociale garanti par l’article 23 de la Constitution, parmi les attributs du droit à la dignité humaine, et de l’effet de standstill prêté à cette disposition. Ce principe de standstill a pour objet de ne pas permettre, sans respecter certaines balises, à une règlementation d’opérer une diminution sensible du niveau de protection déjà consacré de la liberté constitutionnelle en cause (ici le droit à l’aide sociale).


Le Conseil d’Etat a présenté sa démarche en rappelant que le recours exigeait « qu’il soit recherché si l’acte attaqué réduit sensiblement le degré de protection qu’offraient les dispositions préexistantes et, en cas de réponse affirmative, si la partie adverse peut se prévaloir de motifs liés à l’intérêt général justifiant un tel recul dans la protection accordée aux droits des personnes handicapées ».

Prenant notamment en compte l’interprétation positive de la règlementation antérieure faite par les juridictions du travail et la Cour de Cassation, le Conseil d’Etat a constaté, dans l’arrêté attaqué, le cumul de quatre mesures régressives par rapport à la règlementation antérieure, jugeant notamment que « des mesures qui, auparavant, apparaissaient "nécessaires" ou "indispensables", et non pas seulement utiles, à l’intégration des personnes handicapées cessent d'être qualifiées de telles, sans mesure compensatoire ».

Le Conseil d’Etat a, de plus, tranché que cette réduction significative du niveau de protection du droit à l’aide sociale, dans ce domaine, n’était pas justifiée par un motif d’intérêt général, tel qu’un impératif budgétaire particulier.


Monsieur A. n’est pas un exemple isolé. D’autres ont rencontré des soucis similaires à propos de leur(s) fauteuil(s) électrique(s). La voiturette n’est pas un « accessoire » anodin comme certaines personnes le pensent. Elle s’avère un élément vital pour permettre aux personnes à mobilité réduite d’acquérir une autonomie et de s’épanouir.

À l’heure où les transferts de compétences en matière de voiturettes sont à l’ordre du jour entre l’INAMI et les entités fédérées, cet arrêt est UN RAPPEL A L’ORDRE pour maintenir une vraie protection de la mobilité et de l’intégration.