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Référent inclusion: un job à temps plein ?

Notre asbl est partie à la rencontre de Stéphane Camut, ergothérapeute et référent inclusion pour la Haute École Libre de Bruxelles, Ilya Prigogine.


Stéphane a un parcours que l’on peut aisément qualifier d’altruiste. Après ses secondaires, il entreprend des études d'ergothérapie. Pour information, l’ergothérapie est une discipline de santé visant à promouvoir le bien-être et une plus grande autonomie des individus au travers de leurs occupations quotidiennes (travail, dessin, sport…). Il découvre alors une profession humaniste promettant de mettre au centre des problématiques quotidiennes la personnalité de la personne accompagnée. Cette approche était des plus novatrices pour le siècle passé. Il finira par coupler sa profession d’ergothérapeute avec l’enseignement. Aujourd’hui, Stéphane est référent inclusion pour la Haute École Libre de Bruxelles Ilya Prigogine mais aussi le père d’un jeune garçon en situation de handicap. Il nous raconte comment il a fait de l’inclusion…son job à temps plein.

Faut-il vraiment éduquer (à) la différence en 2022 ?

Bien qu’en Belgique, le Décret Inclusion soit effectif depuis 2004, les personnes en situation de handicap ne comptent certainement pas uniquement sur ce dernier pour s’inclure. Effectivement, bien qu’il ait pour vocation de faire de l’inclusion la norme, il peut être vecteur de discrimination si la réalité de terrain n’est pas étudiée et comprise.  Le Décret Inclusion permet notamment d’assurer des aménagements raisonnables pour les élèves dits à besoins spécifiques (ex: le tiers temps supplémentaire lors des examens). Dans la réalité, notre interviewé constate des discriminations découlant de ces aménagements en plaçant, par exemple, ceux et celles disposant d’un temps supplémentaire dans une autre classe d’examen. Au-delà des évaluations, de nombreuses autres activités scolaires mènent à un bafouement de droits fondamentaux si leur accessibilité n’est pas questionnée: les baptêmes étudiants ne sont pas adaptés, les fêtes étudiantes non plus…sans parler des échanges Erasmus. 

Le Décret Inclusion belge place son curseur, spécifiquement, sur les personnes en situation de handicap mais Stéphane ouvre la réflexion et souhaite éveiller les sensibilités et faire prendre conscience de la pluralité des situations: Certain·e·s étudiant·e·s deviennent parents lors de leurs études, d’autres sont aidant·e·s proches, d’autres doivent travailler pour payer leurs études, il faut aussi prendre en compte les étudiant·e·s primoarrivant·e·s n’ayant pas une maîtrise totale du français,... Dans le cas des jeunes aidant·e·s, bien que leur statut soit reconnu, rien n’est actuellement mis en place pour aménager leurs études. Il développe: Les études supérieures sont les charnières de la vie, c’est là-dedans que l’on se projette pour devenir l’adulte, le·la parent·e, le·la citoyen·ne de demain. Il y a lieu de pouvoir considérer des situations particulières sans pour autant tout accepter. C’est simplement permettre à quelqu’un de mener, parce qu'iel n'a pas le choix, les différents combats qu’iel doit mener en même temps. Autrement, on est en train de couper l’herbe sous le pied de ces nouveaux·elles adultes. Stéphane a d’ailleurs le projet de valoriser en crédits l’accompagnement par certain·e·s étudiant·e·s d’autres étudiant·e·s. 

Des questions se posent alors: En 2022, n’est-il pas triste de devoir récompenser ou, à l’inverse, réprimander certains comportements pour tendre vers l’inclusion ? En 2022, n’est-il pas triste d’avoir encore besoin d’un référent inclusion pour inviter le personnel éducatif à se pencher sur la question ? Pour Stéphane, son poste de référent est bien sûr fondamental. Il déplore la situation actuelle, notamment les quotas à l’emploi pour les personnes en situation de handicap: C’est quand même triste de devoir passer par des lois, des quotas. Qu’est-ce qu’on a raté dans l’histoire ? s’exclame-t-il. Tout le monde devrait être formé à la différence, dès le plus jeune âge, dès la crèche. Mais apprendre l’inclusion, s’y chatouiller, s’autoriser la méconnaissance du sujet…ça prend du temps. Mais qui prend encore le temps en 2022 ?  Même lorsque l’autre a encore l’énergie et la volonté d’exposer et parfois même de justifier sa différence, l'interlocuteur·trice ne prend pas toujours le temps d’écouter, de comprendre. La société ne le permet pas toujours non plus. Faut-il par conséquent imposer légalement une formation à la différence ? Stéphane espère que la crise pandémique nous a secoué, a propulsé la technologie à un nouveau rang...et l’inclusion également.

Pour lui, la CUA, la Conception Universelle d’Apprentissage, est peut-être une des clés. La CUA se définit comme unensemble de principes liés au développement du curriculum qui favorise les possibilités d'apprentissage égales pour tous les individus" (Université de Montréal). En ce qui le concerne, Camut anticipe et met à la disposition des élèves des supports visuels ou audio sans que les élèves n’aient à lui demander quoi que ce soit: Dès le départ, je mets à disposition des supports qui peuvent être lus et/ou écoutés. Je n’attends pas que le problème se pose. Avec la conception universelle des apprentissages, l’étudiant·e ne doit plus demander.  Il ne s’agit pas d’un abaissement du seuil de compétences et des exigences, il s’agit juste de fournir, dès le départ, différents chemins aux étudiant·e·s pour arriver au même endroit. Mais rien n'est simple, tout n’est pas prévisible. Ce principe de CUA ne doit pas cacher la nécessité de rester disponible à la différence non attendue.

Camut croit fondamentalement à la présence d’une fibre inclusive présente en chaque individu, fibre que ce dernier·ère pourrait développer sans pour autant avoir été touché·e de près ou de loin, ou encore transitoirement par le handicap: C’est incroyable de voir à quel point un grand frère, une grande soeur, un papa, un oncle, une tante d’un·e enfant handicapé·e, de par la situation qu’iel vit, devient un·e ambassadeur·rice du Handicap.

Dans sa société idéale, nous sommes tous et toutes les ambassadeur·rice·s de la différence et il n’y pas plus besoin de la justifier et de se battre pour la vivre.