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Interview Nele Paxinou: « Plus que d’une médaille, j’ai besoin d’aide ! »

Nele Paxinou, femme militante aux multiples casquettes, a décidé de se battre pour le droit des personnes en situation de handicap qui ont, pour reprendre ses mots: “ le droit de vivre, et ce droit de vivre ne s’arrête pas à 6h du soir ”.

Nele Paxinou est une femme militante aux multiples casquettes:  comédienne, metteuse en scène, autrice et surtout defenseuse des droits des personnes en situation de handicap. En 2012, elle est élevée au rang de chevalier du Mérite wallon et, en 2019, elle devient Commandeur de l'Ordre de la Couronne pour l'œuvre de sa vie, les Baladins du Miroir. Aujourd’hui, au-delà de cette reconnaissance, elle a besoin d’aide au quotidien. 

À 23 ans, la jeune comédienne est atteinte d’une maladie qui touche sa moelle épinière. Elle se retrouve paralysée en moins de 24 heures suite à une encéphalomyélite ou une sclérose en plaque aiguë. La cause n’a pas été identifiée au vu de technologies médicales moins avancées de l’époque. S’ensuit alors une longue période de rééducation qui se soldera malheureusement par une forte perte d’autonomie. Nele se retrouve en fauteuil et passe de l’autre côté du rideau. Elle devient metteuse en scène au Rideau de Bruxelles pour finalement monter sa propre compagnie, le Théâtre du Miroir en 1979.  En 1980, Nele Paxinou fonde avec Marco Taillebuis, funambule, les Baladins du Miroir, une troupe d’artistes itinérants adeptes du théâtre forain. De cette rencontre résulte une relation professionnelle mais aussi amoureuse. Elle en parle : “il marchait sur un fil et moi j'étais en fauteuil roulant. C’était très paradoxal mais c’était très beau quand même”. Elle parle des Baladins comme “le combat de toute une vie” pour être subsidié et être reconnu. Durant de nombreuses années, il lui faudra courir après l’argent pour boucler les fins de mois et rémunérer les comédiens engagés sous statut d’employé.e. Cette année, les Baladins fêtent leurs 41 ans et un reportage de la RTBF les met à l’honneur. Reportage que vous pouvez retrouver en cliquant ici.
 
Pendant 35 ans, Nele Paxinou a géré sa compagnie d’une main de maître. “On parle aujourd’hui d’inclusion et bien moi j’ai créé l’inclusion parce que c’est moi qui ai fondé la compagnie, c’est moi qui ai engagé des gens et donc ils ne se posaient pas la question de si j’étais handicapée ou pas, de si il fallait m’aider ou pas (...) Je n’étais pas moi en tant qu’handicapée demandeuse de quelque chose, j’étais tout simplement leur employeur. Nous étions dans le même bâteau, voilà la vraie inclusion!” déclare Nele. Durant ces années, elle a sillonné les routes à bord de sa roulotte au fil des représentations de sa compagnie pour finalement céder la direction à Gaspar Leclere (comédien de la compagnie depuis les débuts) et se poser à Thorembais-les-Béguines où cette même roulotte a trouvé sa place à l’intérieur de sa maison entre la bibliothèque et la piscine intérieure. Une habitation à l’énergie des plus étonnantes, tout comme son hôte. Dans le jardin, un café théâtre pouvant accueillir 50 personnes a pris place.
 
Bientôt âgée de 80 ans, Nele Paxinou a finalement décidé de s’occuper d’elle et de se battre pour une cause qui la touche personnellement, les droits des personnes en situation de handicap et leur maintien à domicile. Le BAP est alors devenu son combat. Le BAP, Budget d’Assistance Personnelle, est un montant attribué à une personne en situation de handicap lourd, sous certaines conditions, afin qu'elle puisse organiser l'aide et l'accompagnement dont elle a besoin. Le programme BAP est, par conséquent et en théorie, une politique efficace en faveur du milieu de vie ordinaire. Avec ce système, le pouvoir est entre les mains des personnes handicapées. Cependant, il n’est malheureusement pas toujours une réalité, en Wallonie du moins. Nele Paxinou témoigne de ses lacunes: “J’ai eu une vie passionnante, pas facile, parce qu'évidemment le problème du handicap, il est là, il évolue et maintenant j’aurais vraiment besoin de plus d’aides autour de moi et il n’existe rien. Après 18h du soir, plus aucune vie sociale et culturelle n’est possible”.
 
Elle possède un budget de 16 000 euros bloqués à l’Aviq car personne ne peut répondre actuellement aux besoins de son handicap. Autre problème, sa piscine, utilisée à des fins thérapeutiques (exercices kinésithérapeutiques trois fois par semaine) n’est reconnue que comme activité récréative or elle n’est plus apte à faire ces exercices “à sec”. Elle insiste sur un besoin de flexibilité (être mise au lit à 18h n’est pas une vie) et sur la nécessité d’un personnel compétent (n’importe qui n’est pas capable de soulever une personne handicapée avec un lève-personne). En Flandre, la personne handicapée peut gérer elle-même son BAP et choisir son personnel. Le système y est beaucoup plus efficace ! Bien évidemment, certains handicaps ne permettent pas la gestion administrative et financière du BAP, vient alors la nécessité d’une aide adéquate.
 
Pendant des années, elle a bénéficié de l’offre de “Soutien, aide et plaisirs”, une asbl ayant énormément œuvré pour la qualité de vie des personnes handicapées mais qui malheureusement, aujourd’hui, doit cesser ses activités. Il ne reste alors plus aucune offre de ce genre offrant tant de flexibilité. Selon elle, cette asbl lui permettait de se faire aider par des “auxiliaires de vie”, pour reprendre le terme français qui lui tient à cœur. Elle les appelait quand elle en avait besoin, pouvait se rendre au soirée en théâtre à Bruxelles, pouvait être mise au lit après le souper avec sa petite fille, etc. Aujourd’hui, sans ce service, elle ne souhaite pas se faire aider par ses amis qui ne sont pas qualifiés.  
 
Au-delà de la critique, Nele Paxinou se présente avec des propositions pratiques. “Il y a plein de bonne volonté mais personne ne prend les choses en main, alors j’ai décidé de les prendre”.  Elle mène ce combat sur le terrain et fait partie d’un groupe de travail à l’Aviq pour le maintien à domicile de la personne handicapée dont elle a pris la direction. Malheureusement son groupe de travail, composé notamment de Solidaris, ADMR et ASDR, manque de dynamisme. Selon elle, il est nécessaire de créer des cellules locales s’occupant d’un périmètre d’une trentaine de kilomètres du type des AVJ (aides à la vie journalière) à l’offre existante mais restreinte. Elle souhaite créer un centre pilote dans la région de Thorembais-les-Béguines réunissant plusieurs communes. Ce centre recevrait un budget de l’Aviq et se chargerait de le redistribuer et de dispatcher des aides-soignant·e·s à la formation suffisante dans la région. En effet, elle insiste sur la formation minimum de ces aides-soignantes: “ce qu’on demande, c’est un·e aide-soignant·e avec une capacité de manipuler la personne handicapée et qui possède une certaine empathie pour le faire avec respect. Parce qu’il faut respecter l’autre dans ce qu’il vit et ne pas s’introduire dans sa vie. La personne handicapée, on a tendance à la chouchouter et à l’infantiliser alors qu’il n’y pas de raison.” Nele Paxinou demande une plus grande flexibilité bien qu’elle comprenne que son infirmière qui vient la mettre au lit à 18h ait sa vie, sa famille, fasse ses nuits, etc. Et surtout, elle exige une juste rémunération pour ses aides-soignant·e·s.
 
Dans le cadre de son projet de centre pilote, Nele Paxinou s’active. Elle a contacté le bourgmestre, le CPAS de Perwez, la mutualité Solidaris et a même écrit au Roi ! Aujourd’hui, elle n’a reçu encore aucune réponse. Elle envisage même de créer sa propre asbl. Elle souhaite se battre pour les personnes en situation de handicap qui ont, pour reprendre ses mots: “ le droit de vivre, et ce droit de vivre ne s’arrête pas à 6h du soir ”.